L'équilibre


[Extrait de la revue "Message du Vedanta" - Recherche De l'Equilibre Et De l'Harmonie Dans La Vie - par Swami Shraddhananda Giri]

La notion d'équilibre est étroitement liée à la question concernant le but final de la vie ou à la nature essentielle de l'homme. L'idée de l'équilibre n'est pas liée avec l'idée de la juste proportion de toutes choses. Aucune envie n'est plus forte que les autres, l'envie de jouir ne doit pas être plus forte que la nécessité de s'abstenir ou bien l'envie de s'abstenir ne doit pas être plus forte que la nécessité de jouir, par exemple. Le vrai équilibre n'est pas comme une balance où aucun côté n'est plus haut que l'autre.

Le vrai critère de l'équilibre d'une personne est sa capacité de maintenir sa joie de vivre dans toutes les circonstances, par contre l'état de déséquilibre d'une personne la conduit vers la souffrance. En général, dans la société, l'idée de l'équilibre d'une personne est liée avec sa convivialité, son sens critique, sa capacité d'analyser les situations, celle d'évaluer les dangers, son minimum de joie de vivre, l'acceptation des autres etc.

L'absence totale des aspects précités assujettit l'individu à la souffrance. La souffrance est le critère du déséquilibre, c'est la raison pour laquelle l'équilibre par excellence est l'état d'esprit et la connaissance d'un être humain qui prévient la souffrance et maintient la joie de vivre naturelle dans toutes les circonstances. Mais le vrai équilibre d'une personne provient de la prise de conscience de sa vraie identité, la Conscience Pure, la source de sa joie qui ne tarit jamais.

Dans la société un individu est considéré comme déséquilibré lorsqu'il manifeste des troubles du comportement, qu'il a perdu sa joie de vivre et qu'il met en péril la tranquillité des autres. C'est alors qu'on lui accorde des soins médicaux pour : diminuer sa souffrance et afin qu'il soit acceptable dans la société. Connaître la cause réelle de son déséquilibre ne fait pas partie du domaine des professionnels de la santé.

Le vrai critère de l'équilibre d'un individu est sa capacité de se référer, dans toutes les circonstances, à sa vraie source de joie, la Conscience Pure, son identité réelle, autrement il cherchera à réaliser l'impossible par son mental. Dans cette condition le mental entrera dans la logique de déséquilibre dont les principaux aspects sont: le sentiment de frustration, de privation, de culpabilité. A cause d'une agitation excessive, le mental ne pourra plus bénéficier de l'énergie qui émane de la Conscience et qui nourrit et enrichit la personnalité, par conséquent il ne sera pas en mesure de manifester les aspects nobles de l'individu.

Apparemment, c'est le problème de la survie qui se pose en priorité. Ce problème est réel, aussi bien pour le nourrisson que pour le vieillard. Un bébé qui craint de périr fait tout pour survivre. Bien que ce problème de survie paraisse le plus important, on peut observer, néanmoins, qu'un individu ne désire pas non plus vivre n'importe comment.

De toute évidence, l'homme cherche à vivre dans la joie. Quand bien même un individu accepte de vivre dans la souffrance, c'est parce qu'il espère vivre dans la joie plus tard. S'il est placé dans une situation où tout espoir est perdu et qu'il vit dans une souffrance insurmontable, il penchera vers le suicide.

Or, il s'agit de savoir si tout ce que nous faisons a pour but d'obtenir une joie non encore réalisée ou plutôt de conserver une joie inhérente au Soi.

Dans le premier cas, si nous ne vivons pas dans la joie, mais qu'il faut d'abord la réaliser par nos efforts, par des moyens extérieurs, comme on construit une maison qui n'existait pas auparavant, la joie ainsi réalisée sera périssable comme toute autre réalisation matérielle. Si, par contre, nous avons une joie inhérente, en tant que nature de la Conscience, une source indépendante de joie, pourquoi ferions-nous tant d'efforts pour chercher cette dernière à l'extérieur, comme si notre joie ne pouvait venir que d'éléments extérieurs ?

La réponse est la suivante :

Nous sommes ignorants en ce qui concerne cette source naturelle de joie inhérente. Cette joie naturelle est la caractéristique même de la Conscience, mais par ignorance l'individu cherche une joie déformée. Cela revient à dire qu'on apprécie une lumière vue à travers une vitre colorée plutôt qu'une lumière telle qu'elle est.

La racine du déséquilibre demeure dans l'oubli plus ou moins grand de cette source inhérente de joie, source indépendante des éléments extérieurs. L'équilibre est essentiellement en relation avec quelque chose de vrai, de stable pour vivre dans la joie. Plus on oublie que la joie indépendante se trouve au sein de la Conscience, plus on sera tributaire de l'inquiétude et de la dépression nerveuse et du penchant vers la folie.

Chacune de nos pensées et chacun de nos efforts créent des mouvements dans notre organisme et des fluctuations dans notre mental. En général, une personne plus ou moins consciente a la conviction que la nature de l'homme est d'être heureux par lui-même. Si sa dépendance des choses extérieures dépasse certaines limites pour être heureux, cela crée des troubles dans son esprit, de l'inquiétude, du stress…

Le cerveau humain est conçu de manière à supporter, jusqu'à un certain degré, l'excès de mouvements mentaux (l'inquiétude, l'angoisse ou un désir trop vif), cela fait partie de la vie empirique. Par contre, si ces mouvements mentaux dépassent un certain seuil, l'individu connaîtra un état de déséquilibre, de dépression nerveuse etc., à l'instar d'une ampoule destinée à recevoir soixante watts et qui grillera si on l'alimente avec deux mille watts.

L'état de déséquilibre est l'indication d'un profond oubli de la source de joie indépendante inhérente à la Conscience de l'homme. Plus il oublie cette source, plus il est victime de l'agitation mentale. Si cette dernière dépasse les limites de la plus faible notion de pouvoir être heureux par soi-même - car la Conscience dégage cette notion -on peut affirmer alors que l'individu a perdu son équilibre mental.

On peut observer que beaucoup de gens ont une maîtrise naturelle en ce qui concerne les actes prohibés, par ex: une grande tentation de voler, d'assassiner, d'empoisonner ou de faire du mal à quelqu'un en vue de gagner une situation matérielle ou une personne. Ces gens murmurent à eux-mêmes, dans leur subconscient: "Cet acte me serait profitable, mais tout compte fait je peux m'en passer. " L'individu trouve en lui-même quelque chose qui compense ce qu'il a perdu extérieurement en s'abstenant d'un acte répréhensible. Cela signifie aussi qu'il n'est pas très loin de la source originelle de la joie et qu'il n'a pas vraiment oublié la joie naturelle qui se dégage de la Conscience. C'est le cas des gens honnêtes par nature. Ceux-ci trouvent la récompense en eux-mêmes. Par contre, si l'oubli de cette joie naturelle est très grand, l'homme passe à l'acte répréhensible.

Il y a deux sortes d'équilibres: le physique et le mental. En premier lieu, l'équilibre physique consiste à garder un corps sain. Ensuite, il s'agit de développer les capacités physiques inhérentes au corps, par exemple marcher plus longtemps qu'on croit pouvoir le faire ou soulever des poids supérieurs à ceux que l'on se croyait capable de soulever etc.

Cependant, il y a un autre aspect auquel on ne pense pas, en général, et qui fait également partie de l'équilibre physique, c'est la capacité de maintenir le corps immobile pendant longtemps. Cette capacité est également en relation avec l'équilibre de l'individu, en ce sens qu'un corps volontairement immobile favorise le calme mental, calme pendant lequel l'individu peut percevoir en lui une source de joie qui se dégage de la Conscience même.

L'équilibre physique comprend également la capacité de supporter la dualité provenant de l'ambiance extérieure: le chaud, le froid, le bruit.

Le corps a deux missions. L'une, si on peut l'appeler ainsi, consiste à nous procurer une joie sensorielle au moyen de mouvements organiques. L'autre, la véritable, consiste à créer un état physique calme grâce à l'immobilité qui favorise la perception de l'état spirituel de l'être, à savoir une prise de conscience de l'existence d'une joie qui est la nature même de sa Conscience.

Pour développer l'immobilité, il y a lieu de recourir à des exercices respiratoires, à la maîtrise du souffle, le Prânayama. On observe également que l'individu qui néglige d'entraîner son corps, afin qu'il devienne un outil lui permettant de comprendre la nature de la Conscience, a tendance à négliger les disciplines de santé (il fait des excès de table, de boisson), ce qui peut créer un terrain de déséquilibre.

La principale caractéristique de l'équilibre, c'est l'effort que nous faisons tout en conservant la sérénité pour trouver un côté positif à chaque événement qui nous contrarie. Il ne faut pas perdre de vue que la vie est une occasion de faire des expériences sensorielles, mais elle est aussi, et surtout, une école. On y est pour apprendre et découvrir la vérité de soi-même. Si nous sommes malheureux, nous en avons une part de responsabilité. Essayer de trouver sa propre responsabilité en toutes circonstances est l'un des signes de l'équilibre mental.

Une autre preuve d'équilibre mental est la tendance à étudier un événement, heureux ou malheureux, dans sa totalité, autrement dit à chercher en même temps que la cause extérieure la cause inhérente en soi, et surtout à vérifier jusqu'à quel point nos propres sentiments ou comportements sont responsables. Cette tendance est étroitement liée à l'amour pour la vérité de sa Conscience et pour sa Paix.

Chez les individus à tendance dépressive, faute de force morale pour analyser les événements dans leur totalité, les aspects négatifs ou contrariants l'emportent. Cela entraîne une incapacité totale à trouver le remède véritable pour leur état dépressif.

Il existe enfin un autre signe d'équilibre: la réflexion sincère sur la nature réelle de la cause qui établit le lien entre soi-même et les autres. La cause apparente, par exemple, est de rendre service, de témoigner de l'amitié ou de réaliser un intérêt matériel considéré comme légitime. Il y a alors lieu de vérifier s'il n'y a pas des sentiments dissimulés, du mépris, de la convoitise, de la répulsion etc. qui sont en contradiction avec la cause louable apparente.

L'état de déséquilibre est fondamentalement une pathologie, la pathologie de la relation avec les événements, les personnes, les races différentes... Rabindra Nath Tagore a décrit cette situation en se référant à une personne qui a de la fièvre. La température ambiante brûle la peau d'une personne qui a une très forte fièvre alors qu'elle la supporte aisément dans une condition normale. Dans l'état pathologique la personne ne peut percevoir une chose telle qu'elle est, mais enrobée de son problème personnel qu'elle n'arrive pas à résoudre avec la réalité, surtout avec celle de Soi et en souffre beaucoup. Dans le cas extrême elle manifeste un trouble de comportement en attirant l'attention des autres sur elle.

Quel que soit le comportement incohérent de la personne déséquilibrée, derrière l'aspect extérieur se cache un problème de l'ego, une insatisfaction, la non réalisation d'une ambition, une frustration, en quelque sorte une imputation de son identité à laquelle elle croit et est attachée. On en cherche la cause dans les éléments matériels, (le corps, le mental l'environnement de l'individu, sans savoir qu'il y a une realité dans l'être humain où la cause de déséquilibre n'existe pas. La connaissance erronée de la réalité de la conscience est le substratum sur lequel le déséquilibre naît et se développe, mais chercher la cause jusqu'à ce niveau n'est pas du ressort ni du domaine médical, ni de la psychologie, car le matérialisme serait remis en question. Il faudrait adopter un autre moyen d'investigation. Seule la nature réelle de la Conscience, cachée derrière le tourbillon de l'ego, doit être l'objet de cette investigation.

 

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